Les surnoms

En Alsace, on entend l’histoire suivante: » Il y en avait un qui s’appelait LAGARDE. Les allemands sont arrivés et ont traduit son nom: WACHE. Les français sont revenus, ils l’ont appelé VACHE. Les allemands on réenvahi et ils ont à nouveau traduit: de VACHE, il est devenu KUHE. Les français ont à nouveau gagné: il s’appelle CUL maintenant. » (Cité par Nicole LAPIERRE: « Changer de nom  » Stock.)
Tous les surnoms n’ont pas une justification aussi subtile, la plupart même sont d’origine inconnue. Mais ils jouent parfois dans certaines sociétés un rôle notoire. Ils ont été, pour un certain nombre d’entre-eux du moins, à l’origine des patronymes et ont le même rôle qu’eux . Dans une société en expansion, des confusions peuvent apparaître lorsque l’homonymie se multiplie. Le surnom précise ou encore se substitue au patronyme. Il existe chez nous en Ardèche des sociétés villageoises au sein desquelles un patronyme se répand au point de devenir majoritaire, voire presque exclusif. A Vernosc-les-Annonay, les CLOT et les SEUX sont devenus si nombreux que chaque famille CLOT et SEUX se voit affublée d’un surnom de nécessité qui est devenu indispensable pour reconnaître le cercle familial: il y a les CLOT-BERNIQUE, les CLOT-TATELLE, etc… Tous ces surnoms ont été ceux d’un des membres de la famille et se sont transmis à sa descendance.
Contrairement au « nom de guerre », au « nom d’artiste » que l’on choisit, le surnom est imposé et peut, de ce fait, être aussi lourd à porter qu’un patronyme ridicule. Et contre lui, aucun recours possible! Comme pour le patronyme, l’allusion à une particularité physique peut être supportable si, justement, on n’en est pas porteur. Mais combien de PATAPOUF ressemblent à leur grand père qui était obèse, combien de MIRAUD portent lunettes eux aussi ! Les surnoms non mérités sont aussi insupportables parfois et établissent une réputation surfaite. On connait tant de COQ qui se montrent si timides avec les filles…Il est vrai que le surnom peut être dû, comme l’est le patronyme, à un ancêtre cuisinier.
Pour l’histoire des familles, le surnom peut présenter un grand intérêt et on s’aperçoit souvent que le surnom familial traverse les siècles. La famille de l’un de nos adhérents annonéens portait, outre son patronyme, le surnom de « Chanas » dont notre ami ignorait l’origine. Intrigué par ce surnom, il avait imaginé que ses ascendants avaient pu conserver le nom de leur village d’origine et avant même d’avoir entrepris ses recherches généalogiques, il avait consulté les registres paroissiaux du village de Chanas (Isère)
Mais son patronyme n’y était pas représenté. La recherche de ses ascendants, commencée ensuite, l’amena, à la cinquième génération seulement, au village de Charnas (Ardèche), véritable berceau de sa famille. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que c’était « son Stradonitz 10 », c’est à dire le grand père de son arrière grand père en lignée agnatique qui s’était installé en 1793 à Annonay où il avait acheté un « pas de porte ». Comme il venait de Charnas, les gens du quartier l’avaient baptisé « Charnas ». Au cours des siècles, le « r », sans doute pénible à prononcer, était tombé, d’où la confusion avec le toponyme isérois. Plus de 2 siècles, quel bel âge pour un surnom! Il est hélas en train de mourir. Seuls les très vieux appellent encore notre ami: « Lo pitchoun de vez Chanas » ( le petit de chez Chanas). Nous avons la chance de trouver parfois, sur les actes des registres paroissiaux, la mention de surnoms. Si le prêtre les a notés, cela signifie sans doute que leur usage était très important pour l’identification de la personne concernée. Il convient donc de ne pas négliger cette indication. Mais attention au piège: le surnom est parfois si usité qu’il peut arriver que le prêtre lui même, s’il est depuis peu titulaire de la cure, ignore le patronyme véritable. Un autre de nos amis recherchait depuis des années l’ascendance à Ardoix (Ardèche) de son ancêtre Jean VALLIER, né vers 1650. Son acte de baptême portait le seul mon du père: Claude VALLIER. Au delà dans le temps: plus de VALLIER. Epluchant tous les actes du registres à la même époque, notre ami réussit à identifier un autre couple ayant eu des enfants à la même époque. Et il découvrit avec stupeur que seul le plus jeune des enfants de ce couple portait le nom de VALLIER, tous les autres enfants de Claude ROLLAND dit VALLIER portaient le nom de ROLLAND. L’acte de baptême du dernier enfant, rédigé par un jeune vicaire, était celui de Jean VALLIER, le nom de ROLLAND n’apparaissait plus, comme il n’apparut plus désormais dans sa descendance. Le surnom était devenu patronyme…  


Michel Guigal