« L’ an mil sept cens soixante et dix huit et le troisième jour du mois de février, par devant nous Jean Louis LAVILLE, avocat en Parlement, lieutenant du Bailli de la Compté d’Aps et dépendances, dans notre maison au lieu du Buis d’Aps, paroisse dudict Aps et Jean Pierre DELAIGUE-CHAMPANET que nous avons pris pour notre greffier duement « sermanté » (sic).

A comparu Anne MAZOYER qui nous a dit que pour satisfaire aux déclarations de Sa Majesté et arrest de règlement, elle se présente devant nous pour faire sa déclaration de grossesse et, en conséquence, après lui avoir fait prester « serrement » (sic), la main mise sur les Saints Evangiles, l’avons interrogée comme suit:
Enquise de ses nom, surnoms, âge, qualité, a répondu s’appeler Anne MAZOYER, agée d’environ vingt huit ans, restant chez son père au mas de Colombier, paroisse d’Aubignas.

Interrogée depuis quel temps et des oeuvres de qui elle est enceinte, a répondu qu’elle est enceinte depuis le mois d’aoust dernier des oauvres de Louis ROUX restant pour berger chez Monsieur LAFFONT.

Interrogée si elle n’a pas connu d’autre garçon, a répondu qu’elle n’en a pas connu d’autres et ce ne fut même que sous les promesses réitétées de mariage qu’elle consentit à sa défaite.

Lecture faite à ladite MAZOYER pour savoir si elle ne veut point augmenter sa déclaration et si elle contient vérité, a déclaré vouloir ni augmenter ni diminuer et contenir vérité, a persisté et requis acte. Nous, lieutenent de Bailli avons octroyé acte à ladite MAZOYER de sa dite déclaration après lui avoir recommandé d’appeler une sage-femme lors de ses couches et n’a su signer de ce enquise et requise.

Signé: J.L. LAVILLE, lieutenant de Bailli
DELAIGUE, greffier. »

Recueilli par Michel Morice

NDLR.: La première mesure prise en France contre le fait pour une femme non mariée de cacher sa grossesse est un édit de Henri II daté de février 1556. En 1585, Henri III confirmait cette décision, enfin, la déclaration du 26 février 1708 précisait les conditions dans lesquelles cette déclaration devait être faite. Le point commun de ces trois textes législatifs est contenu dans la gravité de la sentence en cas de non-déclaration: la peine de mort.

Dès qu’elle était en mesure d’être certaine de son état de grossesse, la femme non-mariée, ou veuve depuis plus d’un an, devait donc, sous peine de mort, effectuer cette déclaration devant une autorité. Mais aucun des trois édits cités ne précise exactement laquelle. La seule indication contenue dans ces textes est que cette déclaration devait être gratuite. Ce qui fait que, selon les régions, l’usage fut différent: à Paris, ces déclarations furent reçues le plus souvent par les commissaires. Dans le reste du royaume, ce furent plutôt les greffes ou les juges. Quelques déclarations de grossesse furent faites devant les notaires, mais il est bien évident que, dans ce cas, elles ne pouvaient être gratuites.

L’officier recevant le déclaration était tenu de demander à la déclarante le nom du père de l’enfant, mais il ne possédait evidemment aucun moyen d’obtenir une réponse si la déclarante refusait de l’indiquer. Dans le cas où le père était désigné dans la déclaration, le juge, si c’était lui qui recevait la déclaration, pouvait convoquer le père et tenter de le convaincre de réparer. Certains magistrats, par excès de zèle, tentèrent parfois d’obtenir des « matrones » la dénonciation des accouchements non-déclarés. Cette pratique fut réprouvée par les Parlements qui craignaient d’inciter ainsi les filles-mères d’accoucher en cachette sans le secours des sages-femmes.

Il semble enfin que cette législation concernant les déclarations de grossesse soit tombée en désuétude dès le milieu du XVIII° siècle. Dans les années qui précédèrent la Révolution, il semble qu’on puisse affirmer que nombre de filles qui accouchaient clandestinement ignoraient totalement qu’une ancienne loi les condamnait à la pendaison….. C’est ce qui fait l’originalité de la déclaration ci-dessus, datée de 1778.

On trouve donc les déclarations de grossesse surtout dans les archives de la police et des tribunaux, c’est à dire dans la série B ( Cours et Juridictions d’Ancien Régime) des Archives Départementales. On peut en trouver quelques unes dans les minutiers des notaires mais aussi parfois dans les archives municipales des villes où siégeait une cour de justice.

Michel GUIGAL