Des noms gaulois aux noms d’aujourd’hui

La communication par le langage passe par une phase indispensable: l’attribution à chaque objet à désigner d’un nom qui lui est propre. En qualité d’objet du langage, les personnes ne font pas exception à cette règle. Il est nécessaire dans toute société que chaque personne porte un nom, afin qu’elle puisse être désignée et reconnue sous ce nom par chacun des membres de cette société. Mais les règles régissant le choix du nom ont varié au cours des siècles. Rappelons quelles furent ces règles dans quelques unes des civilisations qui précèdent la nôtre: Les Gaulois n’utilisaient pour désigner les personnes que des sortes de surnoms qui leur étaient attribués par la collectivité à la suite d’événements divers. C’est dire que ces désignations pouvaient changer au cours de la vie et qu’elles n’étaient pas héréditaires. Pour désigner des personnages influents, on avait ainsi tendance à utiliser des superlatifs flatteurs. L’exemple le plus significatif peut être et en tous cas le plus connu est celui de VERCINGETORIX: VER: équivalent de notre « super ». CINGETO: guerrier. RIX: roi. Vercingetorix= Le roi des super-guerriers appellation aussi flatteuse pour celui qui portait le nom que pour ceux qui le désignaient ainsi. Autre exemple: TRITOGENOS: TRITO: 3° GENOS: né. Ainsi désignait-on le troisième enfant de la famille. Ces noms gaulois disparurent dès la phase suivante, c’est à dire la période gallo-romaine. Ils n’ont laissé de trace que dans la mesure où ils ont pu demeurer dans le nom d’un lieu, puis être attribué en tant que nom de lieu à des personnes y habitant. Chez les gallo-romains, on adopta les habitudes latines et chacun porta un nom en trois parties: Praenomen ou prénom, Nomen ou nom de la « gens » ou tribu, Cognomen ou surnom, celui en fait qui servait à reconnaitre. Un exemple: celui qu’on trouve sur le monument funéraire de Rosieres, en Ardèche: MARCUS (prénom= Marc) . IALLUS (nom de la « gens « )et BASSUS (surnom qui faisait sans doute allusion à sa petite taille). Notons cependant qu’une habitude semblable à celle que nous avons évoquée pour les gaulois et peut être héritée d’eux, perdura: celle de désigner, dans une fratrie, chaque enfant par son rang de naissance. Il existait, en Ardèche encore, une riche famille gallo-romaine dont le cinquième enfant était appelé « le cinquième » QUINTUS ou plus exactement « le petit cinquième » QUINTINUS. Ce nom d’enfance , il le conserva sa vie durant et lorsqu’il mourut, on continua d’appeler l’endroit où il vivait « le domaine de Quintinus »: QUINTINI-ACUM. C’est aujourd’hui Quintenas. Cette situation perdura jusqu’aux invasions germaniques qui déferlèrent sur la Gaule romaine pendant quatre siècles. Ce furent d’abord de petits groupes aux moeurs relativement pacifiques qui défrichèrent des domaines agricoles pour s’installer, puis, vers le 4° siècle, des bandes de plus en plus importantes et belliqueuses qui s’installent de force en chassant l’occupant primitif et en détruisant les installations existantes. Au 5° siècle, nous devenons burgondes. Les gallo-romains soumis collaborent avec celui qu’ils considèrent pourtant comme un barbare et qui détient le pouvoir. On intègre progressivement cet occupant et on adopte ses habitudes. Les noms germains envahissent la Gaule. Même les vieilles familles gallo-romaines adoptent ces appellations en se fondant dans les familles barbares. Le système des dénominations germaniques est proche de celui des Gaulois: ce sont des surnoms forgés en 2 ou 3 éléments puisés dans le répertoire des mots les plus flatteurs. Ces éléments sont en petit nombre et leur combinaison donne une infinité de variantes.Les plus usuels sont par exemple :
Parmi les substantifs: HALD: vieux . BERT: brillant HARDT: dur. Parmi les verbes: WARD: garder. WALD; gouverner. Parmi les déterminatifs: HROD: gloire. REGIN: conseil. HRAMN: corbeau. BERIN: guerrier mais aussi ours. GER: lance ou javelot., etc…
La combinaison de ces éléments donne les noms en usage: HROD-BERT: Robert. HROD-GER: Roger. BERIN-HARDT: Bernard BERT-HRAMN: Bertrand REGIN-WALD: Renaud. Ces noms germaniques de personnes ont été transmis jusqu’à nous, contrairement aux précédents, mais sous la forme de prénoms. En effet la phase suivante, l’époque paléochrétienne ne se substitua pas par la force mais surtout par la conversion et conserva donc les noms des nouveaux chrétiens.. Cette phase paléochrétienne se distingue par la réapparition du prénom comme dans la phase galloromaine. Mais ce prénom prend un caractère sacré puisqu’il est donné par un sacrement: celui du baptême. Il est d’ailleurs d’abord utilisé seul. On donne comme nom de baptême de préférence le nom d’un saint. Or nombre de ceux-ci portent justement un nom germanique, quelques uns un nom latin. Mais un certain nombre de saints sont plus particulièrement vénérés en tel ou tel lieu. On tenait donc à faire porter à son enfant le nom du saint le plus vénéré. En Ardèche, par exemple, Saint Julien de Brioude, légionnaire romain né à Vienne au VI° siècle, avait laissé une forte empreinte. Il est le saint le plus souvent représenté dans les noms de communes ardéchoises (7 au total) Plus tard, au 12° siècle, un autre saint viennois, Guillaume de Clermont, archevêque de Vienne, fut à l’origine d’une floraison de Guillaume. Lorsqu’un nom de baptême était aussi répandu et qu’une part importante des personnes composant une communauté le portaient, il était bien sûr nécessaire de compléter ce nom par un second pour préciser de quelle personne il était question, d’où l’apparition du surnom. C’est vers le 12° siècle que, peu à peu, le surnom du père devient héréditaire et prend donc la valeur de PATRONYME: nom du père. Cette habitude sera fixée par la loi seulement au cours du 16° siècle par l’ordonnance de Villers-Cotterets édictée par François 1° en 1539. Cette ordonnance constitue donc l’officialisation d’une habitude vieille de deux à trois siècles: la désignation de l’enfant par le prénom suivi du nom du père. C’est aussi cette ordonnance de Villers-Cotterets qui réglementera la tenue par les prêtres des registres paroissiaux sur lesquels seront enregistrés les sacrements administrés: baptêmes et mariages, puis plus tard les sépultures. Les registres paroissiaux seront remplacés par les registres d’état-civil par la loi du 20 septembre 1792. Voici donc résumée l’évolution des habitudes en matière de noms qui eurent cours chez nous au cours des deux millénaires de notre histoire. Michel GUIGAL