Peut-on changer de nom ?

hacun de nous tient à son nom. Il est une partie de notre personnalité que nous recevons à la naissance en même temps que notre patrimoine génétique. Mais comment vit-on la possession d’un nom ridicule? Est-il facile, « confortable », de s’entendre, chaque matin, interpeller d’un sonore : »Bonjour Monsieur CONNARD », à la cantonnade et accompagné de ce petit sourire au coin des lèvres ? Supportable sans doute pour qui possède en outre une forte personnalité, déprimant, à coup sûr, pour le commun des mortels…!

Et pourtant ils sont légion, ces noms lourds à porter. Mademoiselle COURTECUISSE acceptera son patronyme si elle a la chance de posséder de longues jambes fuselées. Mais si elle est petite et boulotte ? Monsieur GROSMOLLARD sera contraint de rencontrer souvent le directeur du collège pour obtenir de lui que les « sales gosses » du collège ne crachent plus sur ses enfants. Comment ce timide jeune homme, séduisant au demeurant, pourra-t-il avouer à la jeune fille qu’il vient d’aborder après des semaines d’angoisse et d’hésitations qu’il s’appelle BRISECUL ?

Outre les noms ridicules, ils y a ceux qui sont entachés d’une marque indélébile d’infamie. Monsieur HITLER signera discrètement HILLER quand il pourra le faire. Il s’étonnera d’ailleurs de constater que les plus jeunes ne sursautent plus à l’énoncé de son nom tant l’oubli saupoudre vite les sursauts de l’histoire. Qui se souvient aujourd’hui de Charles ROLET, procureur au Parlement de Paris, condamné au bannissement en 1681 ? Son nom fut pourtant à l’époque synonyme d’escroc et son fils obtint du roi de pouvoir se faire appeler SAINT-BUT. Seul le célèbre vers de Boileau chante encore dans nos mémoires: « J’appelle un chat un chat et ROLET un fripon ». S’il est devenu facile aujourd’hui de s’appeler ROLET, il est à peine plus difficile de s’appeler LANDRU ou PETIOT.

Mais lorsqu’on traîne son nom comme un fardeau, lorsqu’il ne signifie plus rien, sinon les réflexions et les sourires qu’il suscite, existe-t-il une solution? La réponse est en demi-teinte. Changer de nom relève, en France, du parcours du combattant. Seul le Conseil d’Etat est habilité à se prononcer et sa jurisprudence est claire: le plaignant ne pourra changer de nom que s’il réussit à prouver de façon indubitable que celui-ci lui porte préjudice. Or cette preuve est bien difficile à apporter. Très peu y parviendront. Est-il vraiment préjudiciable de s’appeler BROUTECHOUX alors que la plupart des porteurs de ce nom ne s’en plaignent nullement ? Les CASSECOUILLE, eux, n’auront (en principe) pas de difficulté. Il existe, heureusement, et comme c’est toujours le cas, quelques modestes moyens de contourner cette rigueur de la loi. Tout d’abord, la loi elle même a prévu quelques soupapes de sécurité: 2 cas au moins sont prévus pour lesquels une modification du nom est admise: 1°- Les « noms à consonnance israélite » peuvent être « francisés » ( loi du 28 juillet 1808) 2°- Les « noms des personnes naturalisées » peuvent également être francisés (loi du 25 octobre 1972). Ces dispositions ont permis, dans les périodes troublées où antisémitisme et xénophobie refont surface, aux porteurs de noms trop voyants, de rentrer dans un certain « anonymat d’origine ». Par contre, un nom étranger francisé ne pourra jamais, en France, reprendre sa graphie étrangère. Le seul cas autorisé de modification d’un nom étranger en un autre nom étranger touche les Arméniens: en 1934, le pouvoir ottoman décida une « turquisation » obligatoire les noms arméniens. Un Arménien naturalisé français est donc autorisé à reprendre la graphie d’origine de son nom. C’est pourquoi un certain nombre d’AVEDIKOGLOU furent autorisés à reprendre leur nom d’AVEDIKIAN.

Autre possibilité admise: celle de « relever » le patronyme disparu d’un parent mort pour la France (loi du 25 octobre 1972). Cette disposition permit à quelques uns de faire admettre un changement désiré. De même, on admit que les grands résistants fussent autorisés à adjoindre leur nom de guerre à leur patronyme: CHABAN-DELMAS, CLAUDIUS-PETIT, BOURGES-MAUNOURY en sont des exemples connus.

Enfin, si un accord du Conseil d’Etat n’est pas toujours possible, l’usage transgresse souvent la loi et brave le souverain « bureau du Sceau » au ministère de la Justice: la rumeur publique affecte souvent et pour des raisons obscures parfois, un surnom à de nombreuses personnes qui peuvent n’en être pas plus satisfaites que de leur véritable patronyme. Mais c’est là un autre sujet que nous aborderons aussi…

Michel GUIGAL
avril 1997